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Rencontre avec Raphaella Smits
Parlez-nous de la guitare dans votre enfance.
J’avais déjà onze ans quand j’ai fait connaissance
avec cet instrument, grâce – comme beaucoup d’autres
personnes – à un disque d’Andres Segovia. Mais, même
sans guitare, la musique a toujours été présente
dans ma vie, dès le début.
Nous habitions à la campagne et comme nous n’avions pas de
télévision, alors nous écoutions la radio et des
disques. Et nous le faisions en famille, le soir. Dans ma mémoire,
ce sont des moments précieux. Important détail : nous n’avions
pas beaucoup de disques et par conséquent nous les écoutions
plus profondément, avec une appréciation plus grande pour
la musique et les artistes !
Mon père, sculpteur, a toujours été – et est
encore – un bon violoniste amateur. Ma mère, jardinière
d’enfants, jouait bien du piano. Et mon frère étudiait
le violon et la clarinette. Il nous a été enlevé
par la mort, ce Noël passé, après avoir enseigné
à des centaines d’élèves en tant que professeur
de violon.
Johan et moi, avons eu une enfance pleine de jeux dans les champs et la
fôret, dans cette belle nature qui donne de l’énergie
et stimule l’imagination.
Plus tard, à l’école Rudolf Steiner, nous avons reçu
une éducation bien équilibrée en ce qui concerne
la formation intellectuelle, artistique et sociale. Là, nous apprenions
à chanter à plusieurs voix et à jouer en famille
de la flûte à bec, ainsi que de tous les instruments Orff.
A l’âge de dix ans, je me suis inscrite à la chorale
enfantine de l’Opéra Flamand.
Enfin, le 6 Décembre 1969, j’ai reçu de mes parents
– pour la fête de Saint Nicolas – une guitare ! Comme
j’aimais tellement faire de la musique, je fus tout de suite amoureuse
de cet instrument. En dehors du fait de jouer la partition, j’improvisais
pour accompagner ce que je chantais …
Qui sont les maîtres qui vous ont enseignée et que
vous ont-ils transmis, à votre sens, de plus important ?
Mon prof au conservatoire d’Anvers était Victor Van Puyenbroeck.
Il avait le talent de laisser les étudiants découvrir la
musique. Il n’a jamais forcé personne à jouer telle
ou telle pièce. Cette liberté me permettait de toujours
aimer pleinement ce que j’abordais.
Après, Albert Sundermann et Jef Goor au conservatoire de Bruxelles
m’ont fait travailler ma technique.
José Tomàs en Espagne, chez qui je suis retournée
cinq ou six fois pour suivre ses stages d’été, m’a
fait découvrir la plus-value de la guitare à huit cordes.
Enfin, mon maître de musique – et pas des moindres –
fut Jos Van Immerseel : ce génie de toutes sortes de claviers m’a
appris le sens le plus profond de la musique : le langage, la rhétorique,
les exigences des partitions, l’art des fioritures et de l’improvisation
…
Pendant ces années dont je fais le tour, il est évident
que j’ai rencontré beaucoup de personnalités qui m’ont
influencée : Philip Hirshorn, Eugène Muller Dombois, Hopsinson
Smith (peu connu dans ce temps-là en 1974 !), Andrès Segovia,
Narciso Yepes, …
Vous avez été la première femme à
gagner un premier prix au Concours International de Benicasim. Vous en
avez remporté d’autres. Qu’avez-vous tiré de
ces victoires ?
Dans ce temps-là, gagner des concours ne me semblait pas tellemnt
important … sauf dans l’optique de se faire connaître
et par conséquent d’angrandir son public. Mais pour moi,
Benicasim a déclenché un ‘plus’ : le déclic
chez les producteurs d’Accent Records. Jusqu’à maintenant,
j’ai en effet pu réaliser avec eux sept compact disques (le
huitième déjà enregistré, sortira en fin d’année).
Vous-même êtes passée de l’autre côté,
depuis. Que penser des concours ?
En effet, je suis régulièrement invitée comme membre
de jury. Je trouve que c’est un travail exigeant mais aussi très
intéressant. Ce qui ne change pas est que l’ont voit, à
tous les concours, des joueurs très forts don’t certains
se trouvent incapables de montrer leur talent dans ces terribles conditions,
mais où d’autres, par contre, réussissent malgré
tout à communiquer avec le public et à ajouter une couleur
personnelle à la musique.
Par exemple, je viens de rentrer du concours EGTA en Allemagne : il y
avait parmi ces jeunes un grand potentiel de talents qui annoncent quelques
grands guitaristes. Dans un jury, nous sommes toujours à la recherche
d’un magicien, ou une magicienne … Mais juger des musiciens
reste une tâche difficile : on ne peut pas se limiter à compter
des notes ou des fautes. Il faut en vérité comparer des
performances extrêmement complexes.
Je trouve que le grand danger serait que, dans l’avenir, le public
préfère le suspens des compétitions à la beauté
d’un concert normal – qui va bien au-delà. D’autre
part, beaucoup de jeunes interprètes se sentent contraints de ne
jouer que le répertoire des concours – limitant en cela leur
recherche et leur découverte.
Heureusement, pour beaucoup d’entre eux, les concours sont aussi
des leiux de rencontre (même pour les professionnels). En combinaison
avec des concerts donnés par les maîtres de notre instrument,
on peut y vivre des moments musicaux merveilleux.
Quelles sont les domaines qui vous intéressent le plus
dans notre répertoire ?
Je me sens surtout attirée par les couleurs, autant dan la sonorité
de l’instrument que dans l’harmonisation de la musique : l’écoute
du silence et le silence des sons dans les pages musicales me fascinent
aussi ; enfin, l’ecclectisme de notre répertoire est captivant,
depuis le classique le plus raffinée jusqu’à la musique
moderne où l’on va même jusqu’à taper
sur la guitare …
Quels furent vos duettistes marquants en musique de chambre ?
Très sûrement : mon duo avec David Russell dans les années
quatre-vingt, ainsi que mon duo avec ténor Guy De Mey qui dure
déjà depuis 25 ans. Depuis quelques années, je travaille
régulièrement avec la mezzo argentine Liliana Rodriguez.
Il est impossible de nommer tous les collègues avec lesquels j’ai
joué depuis que je suis monté sur une scène. Ce qui
est sûr est que j’ai toujours beaucoup aimé faire de
la musique de chambre, que ce soit avec une guitare, le chant, du violon,
de la flûte, du violoncelle, ou autre …
Parlez-nous de vos compositeurs préférés
du passé.
Il est évident que je ne peux pas énumérer tous ceux
que j’aime : il sont trop nombreux ! Mais quelques-uns me viennent
tout à coup en tête, par exemple Haydn pour ses quatuors,
et Monteverdi pour son Orfeo, aussi César Franck pour son Prélude,
Fugue et Variations. Je pense également aux Romantiques Schumann
et Schubert et je suis toujours touchée par la musique impressionniste
de Debussy et Ravel où les extrêmes se touchent en richesse
et finesse, en transparence et densité. Et sûrement, je ne
peux pas omettre ‘notre musique originale’ des maîtres
comme Sor, Mertz, Rodrigo, Britten et (heureusement) encore beaucoup d’autres
!
Des compositeurs contemporains vous ont dédié leurs
oeuvres. Qui sont-ils ?
Divers argentins ont écrit des morceaux pour moi, et pas des moindres
: Cardoso et Cherubito, pour n’en citer que deux. En Belgique, Janpieter
Biesemans a composé ‘Los Niños con los Sombreros’.
Philippe Lemaigre, Jef Maes et Wim Henderickx également ont rédigé
en pensant à moi. En Suède, le compositeur Owe Walter m’a
dédié des pieces, et depuis ces dernières années,
des gens d’Europe de l’Est, des Etats Unis et même d’Australie
m’envoyent leurs compositions par e-mail !
Vous êtes connue pour pratiquer la guitare à huit
cordes. Pourquoi ce choix ?
Comme tous les élèves de guitare, j’ai commencé
avec six cordes. J’avais 16 ans quand je suis allée pour
la première fois au stage d’été de José
Tomas. Sous son influence j’ai découvert la beauté
et les avantages des huit cordes. Pas seulement pour la musique ancienne,
mais sûrement aussi pour les pièces romantiques et même
pour des morceaux modernes : la portée plus grande me permet une
interprétation plus riche, donc plus intéressante. Depuis
que je me suis plongée dans la pratique de la musique du 19ème
siècle, je suis toujours à la recherche de l’instrument
le plus authentique pour chaque période. De ce fait, ma guitare
peut être à six cordes, ou sept, ou huit … ou onze
!
Vous avez tout fait très vite, puisqu’à 16
ans vous avez commencé à enseigner. Depuis des années,
vous professez à l’Institut Lemmens de Louvain et vous donnez
parout dans le monde des masterclasses : la pédagogie est un domain
qui compte beaucoup pour vous ?
La musique est un mode de communication. La musique est quelque chose
que je veux partager : avec le public, avec mes collègues et avec
mes élèves. Je n’aime pas tenir secret ce qu’il
faut connaître pour mieux jouer : je partage toujours mon savoir
avec les étudiants. Peut-être est-ce la raison pour laquelle
mes masterclasses sont renommées et laissent souvent une impression
durable ?
Comment vivez-vous le métier de soliste, au cours du concert,
dans le travail ?
Il ne faut pas envier les concertistes ! C’est un labeur qui exige,
dans le même temps, beaucoup d’énergie, de la discipline,
de la tranquillité intérieure et enfin, mais ce n’est
pas la moindre des choses, de la persévérance pour cultiver
le talent de créer et recréer la musique.
Mais les voyages (chaque nuit un autre lit), les circonstances inattendues
… tout cela n’est pas toujours facile. Un soliste ne peut
pas se laisser aller. Heureusement, le moment où il se trouve sur
scène et où commence le concert, tous les problèmes
– en tout cas pour moi – sont oubliés.
Ayant beaucoup voyagé, avez-vous noté des différences
musicales, et si oui lesquelles, dans les divers pays que vous avez visités
?
En Europe orientale, j’ai remarqué une grande admiration
pour la tradition : la formation musicale est souvent basée sur
l’ancienne musique populaire du pays et sur les écoles du
19ème siècle.
Par contre, en Amérique du Sud, on trouve surtout développées
les qualités de l’improvisation et de la création
traditionnelle. La musique y fait pleinement prtie de la vie quotidienne.
Enfin au Japon, j’ai été surprise de voir comme on
admire la musique ancienne européenne ! Quel respect pour le passé
et ses valeurs !
Quelle est la place d’une musicienne internationale comme
vous, à notre époque, dans la société ?
Etant musicienne, j’ai la même importance que tout autre être
humain. Pour mes collègues comme pour moi oui, il y a une certaine
responsabilité vis-à-vis de la qualité de nos réalisations
musicales. Mais ce sera toujours le public qui en jugera et lui donnera
son importance. J’aimerais bien croire que la musique pousse les
gens à ne plus faire du mal, mais je crains qu’il y ait d’autres
forces en jeu, plus grandes, plus négatives. Hélas !
Quelle est l’importance de l’art dans votre vie :
musique, mais aussi danse, peinture, sculpture, architecture, cinéma
?
Je ne pourrais pas vivre sans art ! A la maison, j’ai partout autour
de moi des dessins et des sculptures de mon père et d’autres
artistes. Une belle maison, une église, un film valable, tout cela
me rend heureuse !
Comment dessineriez-vous le futur ?
Jene suis pas capable de le faire. Même le présent est difficile
à esquisser, tellement il est instable. Aujourd’hui, la vie
est pleine de contradictions : les gens aspirent à l’amour
et à l’amitié mais on fait la guerre de façon
permanente. Des artistes essaient de créer de la beauté
pendant que des ingénieurs construisent des machines à détruire.
Que voulez-vous que je réponde ? Que la musique au moins soulage
la douleur du monde … .
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